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V


— Pourvu que la Coliche ne vêle pas en même temps que moi ! répétait Lise chaque matin.

Et, traînant son ventre énorme, Lise s’oubliait dans l’étable, à regarder d’un œil inquiet la vache, dont le ventre, lui aussi, avait grossi démesurément. Jamais bête ne s’était enflée à ce point, d’une rondeur de futaille, sur ses jambes devenues grêles. Les neuf mois tombaient juste le jour de la Saint-Fiacre, car Françoise avait eu le soin d’inscrire la date où elle l’avait menée au taureau. Malheureusement, c’était Lise qui, pour son compte, n’était pas certaine, à quelques jours près. Cet enfant-là avait poussé si drôlement, sans qu’on le voulût, qu’elle ne pouvait savoir. Mais ça taperait bien sûr dans les environs de la Saint-Fiacre, peut-être la veille, peut-être le lendemain. Et elle répétait, désolée :

— Pourvu que la Coliche ne vêle pas en même temps que moi !… Ça en ferait, une affaire ! Ah ! bon sang ! nous serions propres !

On gâtait beaucoup la Coliche, qui était depuis dix ans dans la maison. Elle avait fini par être une personne de la famille. Les Buteau se réfugiaient près d’elle, l’hiver, n’avaient pas d’autre chauffage que l’exhalaison chaude de ses flancs. Et elle-même se montrait très affectueuse, surtout à l’égard de Françoise. Elle la léchait de sa langue rude, à la faire saigner, elle lui prenait, du bout des dents, des morceaux de sa jupe, pour l’attirer et la garder toute à elle. Aussi la soignait-on davantage, à mesure que le vêlage approchait : des soupes chaudes, des sorties aux bons moments de la journée, une surveillance de chaque heure. Ce n’était pas seulement qu’on l’aimât,