Page:Emile Zola - La Terre.djvu/240

Cette page a été validée par deux contributeurs.
240
LES ROUGON-MACQUART.

épis d’un mouvement oblique, soufflante et monstrueuse, le ventre déplacé, rejeté dans le flanc droit.

— Puisque tu ne fiches rien, dit-elle à sa sœur, rentre au moins à la maison… Tu feras la soupe.

Françoise, sans une parole, s’éloigna. Dans la chaleur encore étouffante, la Beauce avait repris son activité, les petits points noirs des équipes reparaissaient, grouillants, à l’infini. Delhomme achevait ses ruches avec ses deux serviteurs ; tandis que la Grande regardait monter sa meule, appuyée sur sa canne, toute prête à l’envoyer par la figure des paresseux. Fouan alla y donner un coup d’œil, revint s’absorber devant la besogne de son gendre, erra ensuite de son pas alourdi de vieillard qui se souvient et qui regrette. Et Françoise, la tête bourdonnante, mal remise de la secousse, suivait le chemin neuf, lorsqu’une voix l’appela.

— Par ici ! viens donc !

C’était Jean à demi caché derrière les gerbes, que, depuis le matin, il charriait des pièces voisines. Il venait de décharger sa voiture, les deux chevaux attendaient, immobiles au soleil. On ne devait se mettre à la grande meule que le lendemain, et il avait simplement fait des tas, trois sortes de murs entre lesquels se trouvait comme une chambre, un trou de paille profond et discret.

— Viens donc ! c’est moi !

Machinalement, Françoise obéit à cet appel. Elle n’eut pas même la méfiance de regarder en arrière. Si elle s’était tournée, elle aurait aperçu Buteau qui se haussait, surpris de lui voir quitter la route.

Jean plaisanta d’abord.

— Tu es bien fière, que tu passes sans dire bonjour aux amis !

— Dame ! répondit-elle, tu te caches, on ne te voit pas.

Alors, il se plaignit du mauvais accueil qu’on lui faisait maintenant chez les Buteau. Mais elle n’avait pas la tête à cela, elle se taisait, elle ne lâchait que des paroles brèves. D’elle-même, elle s’était laissée tomber sur la paille, au fond du trou, comme brisée de fatigue. Une