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LA TERRE.

Buteau, car il le sentait froid, presque hostile. Sans doute, il avait mal caché ce qu’il éprouvait pour Françoise, cette amitié croissante qui l’enfiévrait à cette heure, et le camarade s’en était aperçu. Ça devait lui déplaire, déranger des calculs.

— Bonsoir, dit Jean en s’approchant d’une table, où Fouan et Delhomme buvaient une bouteille de bière.

— Voulez-vous faire comme nous, Caporal ? offrit poliment Delhomme.

Jean accepta ; et, quand il eut trinqué :

— C’est drôle que Buteau ne soit pas venu.

— Justement, le voici ! dit Fouan.

En effet, Buteau entrait, mais seul. Lentement, il fit le tour du cabaret, donna des poignées de main ; puis, arrivé devant la table de son père et de son beau-frère, il resta debout, refusant de s’asseoir, ne voulant rien prendre.

— Lise et Françoise ne dansent donc pas ? finit par demander Jean, dont la voix tremblait.

Buteau le regarda fixement, de ses petits yeux durs.

— Françoise est couchée, ça vaut mieux pour les jeunesses.

Mais une scène, près d’eux, coupa court, en les intéressant. Jésus-Christ s’empoignait avec Flore. Il demandait un litre de rhum pour faire un brûlot, et elle refusait de l’apporter.

— Non, plus rien, vous êtes assez soûl.

— Hein ? qu’est-ce qu’elle chante ?… Est-ce que tu crois, bougresse, que je ne te payerai pas ? Je t’achète ta baraque, veux-tu ?… Tiens ! je n’ai qu’à me moucher, regarde !

Il avait caché dans son poing sa quatrième pièce de cent sous, il se pinça le nez entre deux doigts, souffla fortement, et eut l’air d’en tirer la pièce, qu’il promena ensuite comme un ostensoir.

— V’là ce que je mouche, quand je suis enrhumé !

Une acclamation ébranla les murs, et Flore, subjuguée, apporta le litre de rhum et du sucre. Il fallut encore un