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LA TERRE.

autres, lui gratta le cuir si rudement, qu’on entendait le rasoir sur la couenne, comme s’il avait échaudé un cochon. Un deuxième prit la place, ce fut une rigolade. Et les langues allaient leur train, on daubait sur le Macqueron, qui n’osait plus sortir. Est-ce que ce n’était pas sa faute, à cet adjoint manqué, si le bal avait refusé de venir ? On s’arrange. Mais bien sûr qu’il aimait mieux voter des routes, pour se faire payer trois fois leur valeur les terrains qu’il donnait. Cette allusion souleva une tempête de rires. La grosse Flore, dont ce jour-là devait rester le triomphe, courait à la porte éclater d’une gaieté insultante, chaque fois qu’elle voyait passer, derrière les vitres d’en face, le visage verdi de Cœlina.

— Des cigares ! madame Lengaigne, commanda Jésus-Christ d’une voix tonnante. Des chers ! des dix centimes !

Comme la nuit était tombée, et qu’on allumait les lampes à pétrole, la Bécu entra, venant chercher son homme. Mais une terrible partie de cartes s’était engagée.

— Arrives-tu, dis ? Il est plus de huit heures. Faut manger à la fin.

Il la regarda fixement, d’un air majestueux d’ivrogne.

— Va te faire foutre !

Alors, Jésus-Christ déborda.

— Madame Bécu, je vous invite… Hein ? nous allons nous coller un gueuleton à nous trois… Vous entendez, la patronne ! tout ce que vous avez de mieux, du jambon, du lapin, du dessert… Et n’ayez pas peur. Approchez voir un peu… Attention !

Il feignit de se fouiller longuement. Puis, tout d’un coup, il sortit sa troisième pièce, qu’il tint en l’air.

— Coucou, ah ! la voilà !

On se tordit, un gros faillit s’en étrangler. Ce bougre de Jésus-Christ était tout de même bien rigolo ! Et il y en avait qui faisaient la farce de le tâter du haut en bas, comme s’il avait eu des écus dans la viande, pour en sortir ainsi jusqu’à plus soif.

— Dites donc, la Bécu, répéta-t-il à dix reprises, en