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LA TERRE.

cun son tour d’ailleurs, l’un en sentinelle avancée, lorsque l’autre rigolait.

— Méfiance ! cria Nénesse, v’là Jésus-Christ !

Il avait vu le fouet, il détala comme un lièvre, à travers champs.

Dans le fossé herbu, la Trouille, d’une secousse, avait jeté Delphin de côté. Ah ! fichu sort, son père ! Et elle eut pourtant la présence d’esprit de donner au gamin la pièce de cent sous.

— Cache-la dans ta chemise, tu me la rendras… Vite, tire-toi des pieds, nom d’un chien !

Jésus-Christ arrivait en ouragan, ébranlant la terre de son galop, faisant tournoyer son grand fouet, dont les claquements sonnaient ainsi que des coups de feu.

— Ah, salope ! ah, catin ! tu vas la danser !

Dans sa rage, lorsqu’il eut reconnu le fils au garde champêtre, il le manqua, pendant que celui-ci, mal reculotté, s’enfuyait à quatre pattes parmi les ronces. Elle, empêtrée, la jupe en l’air, ne pouvait nier. D’un coup, qui cingla les cuisses, il la mit debout, la tira hors du fossé. Et la chasse commença.

— Tiens, fille de putain !… Tiens, vois si ça va te le boucher !

La Trouille, sans une parole, habituée à ces courses, galopait avec des sauts de chèvre. L’ordinaire tactique de son père était de la ramener ainsi à la maison, où il l’enfermait. Aussi essayait-elle de s’échapper vers la plaine, espérant le lasser. Cette fois, elle faillit réussir, grâce à une rencontre. Depuis un instant, M. Charles et Élodie, qu’il menait à la fête, étaient là, arrêtés, plantés au milieu de la route. Ils avaient tout vu, la petite les yeux écarquillés de stupéfaction innocente, lui rouge de honte, crevant d’indignation bourgeoise. Et le pis encore fut que cette Trouille impudique, en le reconnaissant, voulut se mettre sous sa protection. Il la repoussa, mais le fouet arrivait ; et, pour l’éviter, elle tourna autour de son oncle et de sa cousine, tandis que son père, avec des jurons et des mots de caserne, lui reprochait sa conduite, tournant