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LA TERRE.

avez pour sûr de quoi vivre… Oh ! vous aurez beau dire non ! Le magot est par là, je le sais.

Saisi, le vieux se démenait, la voix cassée, les bras faibles, ne retrouvant plus son autorité d’autrefois, pour le chasser.

— Non, non, il n’y a pas un liard… Vas-tu foutre le camp !

— Si je cherchais ! si je cherchais ! répétait Buteau qui déjà ouvrait les tiroirs et tapait dans les murs.

Alors, Rose, terrifiée, craignant une bataille entre le père et le fils, se pendit à une épaule de ce dernier, en bégayant :

— Malheureux, tu veux donc nous tuer ?

Brusquement, il se retourna vers elle, la saisit par les poignets, lui cria dans la face, sans voir sa pauvre tête grise, usée et lasse :

— Vous, c’est votre faute ! C’est vous qui avez donné l’argent à Hyacinthe… Vous ne m’avez jamais aimé, vous êtes une vieille coquine !

Et il la poussa, d’une secousse si rude, qu’elle s’en alla, défaillante, tomber assise contre le mur. Elle avait jeté une plainte sourde. Il la regarda un instant, pliée là comme une loque ; puis, il partit d’un air fou, il fit claquer la porte, en jurant :

— Nom de Dieu de nom de Dieu !

Le lendemain, Rose ne put quitter le lit. On appela le docteur Finet, qui revint trois fois, sans la soulager. À la troisième visite, l’ayant trouvée à l’agonie, il prit Fouan à part, il demanda comme un service d’écrire tout de suite et de laisser le permis d’inhumer : cela lui éviterait une course, il usait de cet expédient, pour les hameaux lointains. Cependant, elle dura trente-six heures encore. Lui, aux questions, avait répondu que c’était la vieillesse et le travail, qu’il fallait bien s’en aller, quand le corps était fini. Mais, dans Rognes, où l’on savait l’histoire, tous disaient que c’était un sang tourné. Il y eut beaucoup de monde à l’enterrement, Buteau et le reste de la famille s’y conduisirent très bien.