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LES ROUGON-MACQUART.

des Fouan. Si on ne la lui avait pas ouverte, il l’aurait enfoncée. Les deux vieux se couchaient déjà, la mère avait retiré son bonnet et sa robe, en jupon, ses cheveux gris tombés sur les tempes. Et, quand ils se furent décidés à rouvrir, il se jeta entre eux, criant d’une voix étranglée :

— Mon argent ! mon argent !

Ils eurent peur, ils s’écartèrent, étourdis, ne comprenant pas encore.

— Est-ce que vous croyez que je m’extermine pour ma rosse de frère ? Il ne foutrait rien, et c’est moi qui le gobergerais !… Ah ! non, ah ! non !

Fouan voulut nier, mais l’autre lui coupa brutalement la parole.

— Hein ! quoi ? voilà que vous mentez, à cette heure !… Je vous dis qu’il a mon argent. Je l’ai senti, je l’ai entendu sonner dans sa poche, à ce gueux ! Mon argent que j’ai sué, mon argent qu’il va boire !… Si ce n’est pas vrai, montrez-le moi donc. Oui, si vous les avez encore, montrez-moi les pièces… Je les connais, je saurai bien. Montrez-moi les pièces…

Et il s’entêta, il répéta à vingt reprises cette phrase dont il fouettait sa colère. Il en arriva à donner des coups de poing sur la table, exigeant les pièces, là, tout de suite, jurant qu’il ne les reprendrait pas, voulant simplement les voir. Puis, comme les vieux tremblants balbutiaient, il éclata de fureur.

— Il les a, c’est clair !… Du tonnerre de Dieu si je vous rapporte un sou ! Pour vous autres, on pouvait se saigner ; mais pour entretenir cette crapule, ah ! j’aimerais mieux me couper les bras !

Pourtant, le père, lui aussi, finissait par se fâcher.

— En v’là assez, n’est-ce pas ? Est-ce que ça te regarde, nos affaires ? Il est à moi, ton argent, j’en peux bien faire ce qu’il me plaît.

— Qu’est-ce que vous dites ? reprit Buteau, en s’avançant sur lui, blême, les poings serrés. Vous voulez donc que je lâche tout… Eh bien ! je trouve que c’est trop salop, oui ! salop, de tirer des sous à vos enfants, lorsque vous