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LES ROUGON-MACQUART.

maison où elle avait grandi, au milieu de gens qui l’aimaient ? Elle l’écoutait, et elle s’attendrissait à son tour ; car, si elle ne pensait guère à voir en lui un amoureux, elle lui obéissait volontiers d’habitude, beaucoup par amitié et un peu par crainte, le trouvant très sérieux.

— Je veux ma part, répéta-t-elle, ébranlée ; seulement, je ne dis pas que je m’en irai.

— Eh ! bête ! intervint Buteau, qu’est-ce que tu en ficheras, de ta part, si tu restes ? Tu as tout, comme ta sœur, comme moi : pourquoi en veux-tu la moitié ?… Non, c’est à crever de rire !… Écoute bien. Le jour où tu te marieras, on fera le partage.

Les yeux de Jean, fixés sur elle, vacillèrent, comme si son cœur eût défailli.

— Tu entends ? le jour de ton mariage.

Elle ne répondait pas, oppressée.

— Et, maintenant, ma petite Françoise, va embrasser ta sœur. Ça vaudrait mieux.

Lise n’était pas mauvaise encore, dans sa gaieté bourdonnante de commère grasse ; et elle pleura, lorsque Françoise se pendit à son cou. Buteau, enchanté d’avoir ajourné l’affaire, cria que, nom de Dieu ! on allait boire un coup. Il apporta cinq verres, déboucha une bouteille, retourna en chercher une seconde. La face tannée du vieux Fouan s’était colorée, tandis qu’il expliquait que, lui, était pour le devoir. Tous burent, les femmes ainsi que les hommes, à la santé de chacun et de la compagnie.

— C’est bon, le vin ! cria Buteau en reposant rudement son verre, eh bien ! vous direz ce que vous voudrez, mais ça ne vaut pas cette eau qui tombe… Regardez-moi ça, en v’là encore, en v’là toujours ! Ah ! c’est riche !

Et tous, en tas devant la fenêtre, épanouis, dans une sorte d’extase religieuse, regardaient ruisseler la pluie tiède, lente, sans fin, comme s’ils avaient vu, sous cette eau bienfaisante, pousser les grands blés verts.