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LA TERRE.

était ainsi devenu la chose étrangère, l’obstacle qui lui barrait le cœur où elle vivait seule. Elle s’en allait sans embrasser son aînée, quand Buteau l’embrassait, blessée, comme si quelqu’un avait bu dans son verre. En matière de propriété, elle gardait ses idées d’enfant, elle apportait une passion extraordinaire : ça, c’est à moi, ça, c’est à toi ; et, puisque sa sœur était désormais à un autre, elle la laissait, mais elle voulait ce qui était à elle, la moitié de la terre et de la maison.

Dans cette colère de Françoise, il y avait une autre cause, qu’elle-même n’aurait pu dire. Jusque-là, glacée par le veuvage du père Mouche, la maison, où l’on ne s’aimait pas, n’avait eu pour elle aucun souffle troublant. Et voilà qu’un mâle l’habitait, un mâle brutal, habitué à trousser les filles au fond des fossés, et dont les rigolades secouaient les cloisons, haletaient à travers les fentes des boiseries. Elle savait tout, instruite par les bêtes, elle en était dégoûtée et exaspérée. Dans la journée, elle préférait sortir, pour les laisser faire leur cochonnerie à l’aise. Le soir, s’ils commençaient à rire en quittant la table, elle leur criait d’attendre au moins qu’elle eût fini la vaisselle. Et elle gagnait sa chambre, fermant les portes violemment, bégayant des insultes : Salops ! salops ! entre ses dents serrées. Malgré tout, elle croyait entendre encore ce qui se passait en bas. La tête enfoncée dans l’oreiller, le drap tiré jusqu’aux yeux, elle brûlait de fièvre, l’ouïe et la vue hantées d’hallucinations, souffrant des révoltes de sa puberté.

Le pis était que Buteau, en la voyant si occupée de ça, la plaisantait, par farce. Eh bien ? quoi donc ? qu’est-ce qu’elle dirait, quand il lui faudrait y passer ? Lise aussi, riait, ne trouvant là aucun mal. Et lui, alors, expliquait son idée sur la bagatelle : puisque le bon Dieu avait donné à chacun ce plaisir qui ne coûtait rien, il était permis de s’en payer tant qu’on pouvait, jusqu’aux oreilles ; mais pas d’enfant, ah ! pour ça, non ! n’en fallait plus ! On en faisait toujours trop, lorsqu’on n’était pas marié, par bêtise. Ainsi Jules, une fichue surprise tout de même, qu’il avait