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LES ROUGON-MACQUART.

la moutarde après dîner. Le mieux était de boire encore un coup et de se dire bonsoir.

À ce moment, Lise et Fanny poussèrent un cri. Par la fenêtre ouverte, de l’ordure venait d’être jetée à pleine main, une volée de merde ramassée au pied de la haie ; et les robes de ces dames se trouvaient perdues, éclaboussées du haut en bas. Quel était le cochon qui avait fait ça ? On courut, on regarda sur la place, sur la route, derrière le mur. Personne. D’ailleurs, tous furent d’accord : c’était Jésus-Christ qui se vengeait de n’avoir pas été invité.

Les Fouan et les Delhomme partirent, M. Charles aussi. La Grande faisait le tour de la table, cherchant s’il ne restait rien ; et elle se décida, après avoir dit à Jean que les Buteau crèveraient sur la paille. Dans le chemin, pendant que les autres, très ivres, culbutaient parmi les cailloux, on entendit son pas ferme et dur s’éloigner, avec les petits coups réguliers de sa canne.

Tron ayant attelé le cabriolet, pour madame Jacqueline, celle-ci, sur le marchepied, se retourna.

— Est-ce que vous rentrez avec nous, Jean ?… Non, n’est-ce pas ?

Le garçon, qui s’apprêtait à monter, se ravisa, heureux de la laisser au camarade. Il la regarda se serrer contre le grand corps de son nouveau galant, il ne put s’empêcher de rire, quand la voiture eut disparu. Lui, rentrerait à pied, et il vint s’asseoir un instant sur le banc de pierre, dans la cour, près de Françoise, qui s’était mise là, étourdie de chaleur et de lassitude, en attendant que le monde fût parti. Les Buteau étaient déjà dans leur chambre, elle avait promis de fermer tout, avant de se coucher elle-même.

— Ah ! qu’il fait bon là ! soupira-t-elle, après cinq grandes minutes de silence.

Et le silence recommença, d’une paix souveraine. La nuit était criblée d’étoiles, fraîche, délicieuse. L’odeur des foins s’exhalait, montait si fort des prairies de l’Aigre, qu’elle embaumait l’air comme un parfum de fleur sauvage.