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LES ROUGON-MACQUART.

pleine de fleurs, d’oiseaux et de soleil. En fermant les paupières, elle retrouvait le vieux Chartres, dévalant sur le coteau, de la place de la Cathédrale aux bords de l’Eure. Elle arrivait, elle enfilait la rue de la Pie, la rue Porte-Cendreuse ; puis, rue des Écuyers, pour couper au plus court, elle descendait le Tertre du Pied-Plat ; et, de la dernière marche, le 19, faisant le coin de la rue aux Juifs et de la rue de la Planche-aux-Carpes, lui apparaissait, avec sa façade blanche, ses persiennes vertes, toujours closes. Les deux rues étaient misérables, elle en avait vu pendant trente ans les taudis et la population sordides, le ruisseau central charriant des eaux noires. Mais que de semaines, que de mois vécus chez elle, à l’ombre, sans même passer le seuil ! Elle restait fière des divans et des glaces du salon, de la literie et de l’acajou des chambres, de tout ce luxe, de cette sévérité dans le confortable, leur création, leur œuvre, à laquelle ils devaient la fortune. Une défaillance mélancolique la prenait au souvenir de certains coins intimes, au parfum persistant des eaux de toilette, à cette odeur spéciale de la maison entière, qu’elle avait gardée dans la peau comme un regret. Aussi attendait-elle les époques de gros travail, et elle partait rajeunie, joyeuse, après avoir reçu de sa petite-fille deux gros baisers, qu’elle promettait de transmettre à la mère, dès le soir, dans la confiserie.

— Ah ! c’est contrariant, c’est contrariant ! répétait Buteau, vraiment vexé à l’idée qu’il n’aurait pas les Charles. Mais si la cousine écrivait à notre tante de revenir ?

Élodie, qui allait sur ses quinze ans, leva sa face de vierge bouffie et chlorotique, aux cheveux rares, de sang si pauvre, que le grand air de la campagne semblait l’anémier encore.

— Oh ! non, murmura-t-elle, grand’mère m’a bien dit qu’elle en avait pour plus de deux semaines, avec les bonbons. Même qu’elle doit m’en apporter un sac, si je suis sage.

C’était un mensonge pieux. On lui apportait, à chaque