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LA TERRE.

Jean, embarrassé jusque-là, s’égaya avec eux, d’un air de soulagement. Même il parla enfin, il dit tout.

— Tu sais que tu fais bien de revenir, j’allais prendre ta place.

— Oui, on m’a conté ça… Oh ! j’étais tranquille, vous m’auriez prévenu peut-être !

— Eh ! sûr… D’autant que ça vaut mieux avec toi, à cause du gamin. C’est ce que nous avons toujours dit, n’est-ce pas, Lise ?

— Toujours, c’est la vraie vérité !

Un attendrissement noyait leurs faces à tous trois ; ils fraternisaient, Jean surtout, sans jalousie, étonné de pousser à ce mariage ; et il fit apporter de la bière, Buteau ayant crié que, nom de Dieu ! on boirait bien encore quelque chose. Les coudes sur la table, Lise entre eux, ils causaient maintenant des dernières pluies, qui avaient versé les blés.

Mais, dans la salle du café, à côté d’eux, Jésus-Christ, attablé avec un vieux paysan, soûl comme lui, faisait un vacarme intolérable. Tous, du reste, en blouse, buvant, fumant, crachant, dans la vapeur rousse des lampes, ne pouvaient parler sans crier ; et sa voix dominait encore les autres, cuivrée, assourdissante. Il jouait à « la chouine », une querelle venait d’éclater sur un dernier coup de cartes, entre lui et son compagnon, qui maintenait son gain d’un air de tranquille obstination. Pourtant, il paraissait avoir tort. Cela n’en finissait plus. Jésus-Christ, furieux, en arrivait à gueuler si haut, que le patron intervint. Alors, il se leva, circula de table en table, avec un acharnement d’ivrogne, promenant ses cartes, pour soumettre le coup aux autres consommateurs. Il assommait tout le monde. Et il se remit à crier, il revint vers le vieux, qui, fort de son mauvais droit, restait stoïque sous les injures.

— Lâche ! feignant ! sors donc un peu, que je te démolisse !

Puis, brusquement, Jésus-Christ reprit sa chaise en face de l’autre ; et, calmé :