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LA TERRE.

pas l’avoir vu entrer. Puis, sans ajouter un mot, il sortit, il alla attendre sur le trottoir.

— Oh ! Jésus-Christ, oh ! Jésus-Christ ! répéta en faux bourdon le petit clerc, le nez vers la rue, l’air de plus en plus amusé du sobriquet qui éveillait en lui des histoires drôles.

Mais cinq minutes à peine se passèrent, les Fouan arrivèrent enfin, deux vieux aux mouvements ralentis et prudents. Le père, jadis très robuste, âgé de soixante-dix ans aujourd’hui, s’était desséché et rapetissé dans un travail si dur, dans une passion de la terre si âpre, que son corps se courbait, comme pour retourner à cette terre, violemment désirée et possédée. Pourtant, sauf les jambes, il était gaillard encore, bien tenu, ses petits favoris blancs, en pattes de lièvre correctes, avec le long nez de la famille qui aiguisait sa face maigre, aux plans de cuir coupés de grands plis. Et, dans son ombre, ne le quittant pas d’une semelle, la mère, plus petite, semblait être restée grasse, le ventre gros d’un commencement d’hydropisie, le visage couleur d’avoine, troué d’yeux ronds, d’une bouche ronde, qu’une infinité de rides serraient ainsi que des bourses d’avare. Stupide, réduite dans le ménage à un rôle de bête docile et laborieuse, elle avait toujours tremblé devant l’autorité despotique de son mari.

— Ah ! c’est donc vous ! s’écria Fanny, qui se leva.

Delhomme avait également quitté sa chaise. Et, derrière les vieux, Jésus-Christ venait de reparaître, se dandinant, sans une parole. Il écrasa le bout de son cigare, pour l’éteindre, puis fourra le fumeron empesté dans une poche de sa blouse.

— Alors, nous y sommes, dit Fouan. Il ne manque que Buteau… Jamais à l’heure, jamais comme les autres, ce bougre-là !

— Je l’ai vu au marché, déclara Jésus-Christ d’une voix enrouée par l’eau-de-vie. Il va venir.

Buteau, le cadet, âgé de vingt-sept ans, devait ce surnom à sa mauvaise tête, continuellement en révolte,