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LES ROUGON-MACQUART.

grave ; et, comme on ne lui fit pas connaître le sort de sa demande, il demeura pincé, inquiet, gonflé de sourdes insultes : ah ! ces paysans, quelle sale race ! Il dut prendre dans l’armoire le plan du chemin et venir le déplier sur la table.

Le conseil le connaissait bien, ce plan. Depuis des années, il traînait là. Mais ils ne s’en rapprochèrent pas moins tous, ils s’accoudèrent, songèrent une fois de plus. Le maire énumérait les avantages, pour Rognes : une pente douce permettant aux voitures de monter à l’église ; puis, deux heures épargnées, sur la route actuelle de Châteaudun qui passait par Cloyes ; et la commune n’aurait que trois kilomètres à sa charge, leurs voisins de Blanville ayant voté déjà l’autre tronçon, jusqu’au raccordement avec la grand’route de Châteaudun à Orléans. On l’écoutait, les yeux restaient cloués sur le papier, sans qu’une bouche s’ouvrît. Ce qui avait empêché le projet d’aboutir, c’était avant tout la question des expropriations. Chacun y voyait une fortune, s’inquiétait de savoir si une pièce à lui était touchée, s’il vendrait de sa terre cent francs la perche à la commune. Et, s’il n’avait pas de champ entamé, pourquoi donc aurait-il voté l’enrichissement des autres ? Il se moquait bien de la pente plus douce, de la route plus courte ! Son cheval tirerait davantage, donc !

Aussi, Hourdequin n’avait-il pas besoin de les faire causer, pour connaître leur opinion. Lui ne désirait si vivement ce chemin que parce qu’il passait devant la ferme et desservait plusieurs de ses pièces. De même, Macqueron et, Delhomme, dont les terrains allaient se trouver en bordure, poussaient au vote. Cela faisait trois ; mais ni Clou ni l’autre conseiller, n’avaient d’intérêt dans la question ; et, quant à Lengaigne, il était violemment opposé au projet, n’ayant rien à y gagner d’abord, désespéré ensuite que son rival, l’adjoint, y gagnât quelque chose. Si Clou et l’autre, douteux, votaient mal, on serait trois contre trois. Hourdequin devint inquiet. Enfin, la discussion commença.

— À quoi ça sert ? à quoi ça sert ? répétait Lengaigne.