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LA TERRE.

deux mètres ; Palmyre et Jean devaient tendre leurs fourches ; et la besogne n’allait pas sans de grands rires, à cause de la joie du plein air et des bêtises qu’on se criait, dans la bonne odeur du foin. Françoise surtout, son mouchoir glissé du chignon, sa tête nue au soleil, les cheveux envolés, embroussaillés d’herbe, s’égayait comme une bienheureuse, sur ce tas mouvant, où elle baignait jusqu’aux cuisses. Ses bras nus enfonçaient, chaque paquet jeté d’en bas la couvrait d’une pluie de brindilles, elle disparaissait, feignait de naufrager dans les remous.

— Oh ! la, la, ça me pique !

— Où donc ?

— Sous ma cotte, là-haut.

— C’est une araignée, tiens bon, serre les jambes !

Et de rire plus fort, de lâcher de vilains mots qui les faisaient se tordre.

Delhomme, au loin, s’en inquiéta, tourna un instant la tête, sans cesser de lancer et de ramener sa faux. Ah ! cette gamine, elle devait en faire, du bon travail, à jouer ainsi ! Maintenant, on gâtait les filles, elles ne travaillaient que pour l’amusement. Et il continua, couchant l’andain à coups pressés, laissant derrière lui le creux de son sillage. Le soleil baissait à l’horizon, les faucheurs élargissaient encore leurs trouées. Victor, qui ne battait plus son fer, ne se hâtait guère pourtant ; et, comme la Trouille passait avec ses oies, il s’échappa sournoisement, il fila la retrouver, à l’abri d’une ligne épaisse de saules, bordant la rivière.

— Bon ! cria Jean, il retourne affûter. La rémouleuse est là qui l’attend.

Françoise éclata de nouveau, à cette allusion.

— Il est trop vieux pour elle.

— Trop vieux !… Écoute donc, s’ils n’affûtent pas ensemble !

Et, d’un sifflement des lèvres, il imitait le bruit de la pierre mangeant le fil d’une lame, si bien que Palmyre elle-même, se tenant le ventre comme si une colique l’eût tortillée, dit :