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LA TERRE.

Et la Frimat, qui, gravement, elle aussi, vidait le seau d’égoutture dans le chaudron, croyait devoir approuver la démarche, tout en se montrant favorable à Jean, un honnête garçon, celui-là, pas têtu, pas brutal, lorsqu’on entendit, au-dehors, Françoise rentrer avec les deux vaches.

— Dis donc, Lise, cria-t-elle, viens donc voir… La Coliche s’est abîmé le pied.

Tous sortirent, et Lise, à la vue de la bête qui boitait, le pied gauche de devant meurtri, ensanglanté, eut une brusque colère, un de ces éclats bourrus dont elle bousculait sa sœur, quand celle-ci était petite et qu’elle se mettait en faute.

— Encore une de tes négligences, hein ?… Tu te seras endormie dans l’herbe, comme l’autre fois.

— Mais non, je t’assure… Je ne sais pas ce qu’elle a pu faire. Je l’avais attachée au piquet, elle se sera pris le pied dans sa corde.

— Tais-toi donc, menteuse !… Tu me la tueras un jour, ma vache !

Les yeux noirs de Françoise s’allumèrent. Elle était très pâle, elle bégaya, révoltée :

— Ta vache, ta vache… Tu pourrais bien dire notre vache.

— Comment, notre vache ? une vache à toi, gamine !

— Oui, la moitié de tout ce qui est ici est à moi, j’ai le droit d’en prendre et d’en abîmer la moitié, si ça m’amuse !

Et les deux sœurs, face à face, se dévisagèrent, menaçantes, ennemies. Dans leur longue tendresse, c’était la première querelle douloureuse, sous ce coup de fouet du tien et du mien, l’une irritée de la rébellion de sa cadette, l’autre obstinée et violente devant l’injustice. L’aînée céda, rentra dans la cuisine, pour ne pas gifler la petite. Et, lorsque celle-ci, après avoir mis ses vaches à l’étable, reparut et vint à la huche se couper une tranche de pain, il se fit un silence.

Lise, pourtant, s’était calmée. La vue de sa sœur, raidie