Page:Emile Zola - La Terre.djvu/117

Cette page a été validée par deux contributeurs.
117
LA TERRE.

morte : de là venait leur grande tendresse, active et bruyante de la part de l’aînée, passionnée et contenue chez la cadette. Cette petite Françoise avait le renom d’une fameuse tête. L’injustice l’exaspérait. Quand elle avait dit : « Ça c’est à moi, ça c’est à toi », elle n’en aurait pas démordu sous le couteau ; et, en dehors du reste, si elle adorait Lise, c’était dans l’idée qu’elle lui devait bien cette adoration. D’ailleurs, elle se montrait raisonnable, très sage, sans vilaines pensées, seulement tourmentée par ce sang hâtif, ce qui la rendait molle, un peu gourmande et paresseuse. Un jour, elle en vint, elle aussi, à tutoyer Jean, en ami très âgé et bonhomme, qui la faisait jouer, qui la taquinait parfois, mentant exprès, soutenant des choses injustes, pour s’amuser à la voir s’étrangler de colère.

Un dimanche, par un après-midi déjà brûlant de juin, Lise travaillait, dans le potager, à sarcler des pois ; et elle avait posé sous un prunier Jules, qui s’y était endormi. Le soleil la chauffait d’aplomb, elle soufflait, pliée en deux, arrachant les herbes, lorsqu’une voix s’éleva derrière la haie.

— Quoi donc ? on ne se repose pas, même le dimanche !

Elle avait reconnu la voix, elle se redressa, les bras rouges, la face congestionnée, rieuse quand même.

— Dame ! pas plus le dimanche qu’en semaine, la besogne ne se fait toute seule !

C’était Jean. Il longea la haie, entra par la cour.

— Laissez donc ça, je vas l’expédier, moi, votre travail !

Mais elle refusa, elle avait bientôt fini ; puis, si elle ne faisait pas ça, elle ferait autre chose : est-ce qu’on pouvait flâner ? Elle avait beau se lever dès quatre heures, et le soir coudre encore à la chandelle, jamais elle n’en voyait le bout.

Lui, pour ne point la contrarier, s’était mis à l’ombre du prunier voisin, en ayant soin de ne pas s’asseoir sur Jules. Il la regardait, pliée de nouveau, les fesses hautes, tirant sa jupe qui remontait et découvrait ses grosses jambes,