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LES ROUGON-MACQUART.

voix basse, en jetant des regards obliques sur le mort ; tandis que Nénesse, qui s’était emparé de la bouteille d’eau de Cologne, l’achevait, s’en inondait les mains et les cheveux.

Minuit sonna, la Bécu haussa la voix.

— Et monsieur Finet, je vous demande un peu ! On a le temps de mourir avec lui… Plus de deux heures, pour le ramener de Cloyes !

La porte sur la cour était restée ouverte, un grand souffle entra, éteignit les lumières, à droite et à gauche du mort. Cela les terrifia toutes, et comme elles rallumaient les chandelles, le souffle de tempête revint, plus terrible, tandis qu’un hurlement prolongé montait, grandissait, des profondeurs noires de la campagne. On aurait dit le galop d’une armée dévastatrice qui approchait, au craquement des branches, au gémissement des champs éventrés. Elles avaient couru sur le seuil, elles virent une nuée de cuivre voler et se tordre dans le ciel livide. Et, soudain, il y eut un crépitement de mousqueterie, une pluie de balles s’abattait, cinglantes, rebondissantes, à leurs pieds.

Alors, un cri leur échappa, un cri de ruine et de misère.

— La grêle ! la grêle !

Saisies, révoltées et blêmes sous le fléau, elles regardaient. Cela dura dix minutes à peine. Il n’y avait pas de coups de tonnerre ; mais de grands éclairs bleuâtres, incessants, semblaient courir au ras du sol, en larges sillons de phosphore ; et la nuit n’était plus si sombre, les grêlons l’éclairaient de rayures pâles, innombrables, comme s’il fût tombé des jets de verre. Le bruit devenait assourdissant, une mitraillade, un train lancé à toute vapeur sur un pont de métal, roulant sans fin. Le vent soufflait en furie, les balles obliques sabraient tout, s’amassaient, couvraient le sol d’une couche blanche.

— La grêle, mon Dieu !… Ah ! quel malheur !… Voyez donc ! de vrais œufs de poule !

Elles n’osaient se hasarder dans la cour, pour en ra-