Page:Emile Zola - La Terre.djvu/102

Cette page a été validée par deux contributeurs.


II


À quelques jours de là, un soir, Jean revenait à pied de Cloyes, lorsque, deux kilomètres avant Rognes, l’allure d’une carriole de paysan qui rentrait devant lui, l’étonna. Elle semblait vide, personne n’était plus sur le banc, et le cheval, abandonné, retournait à son écurie d’une allure flâneuse, en bête qui connaissait son chemin. Aussi le jeune homme l’eut-il vite rattrapé. Il l’arrêta, se haussa pour regarder dans la voiture : un homme était au fond, un vieillard de soixante ans, gros, court, tombé à la renverse, et la face si rouge, qu’elle paraissait noire.

La surprise de Jean fut telle, qu’il se mit à parler tout haut.

— Eh ! l’homme !… Est-ce qu’il dort ? est-ce qu’il a bu ?… Tiens ! c’est le vieux Mouche, le père aux deux de là-bas !… Je crois, nom de Dieu ! qu’il est claqué ! Ah bien ! en voilà, une affaire !

Mais, foudroyé par une attaque d’apoplexie, Mouche respirait encore, d’un petit souffle pénible. Jean, alors, après l’avoir allongé, la tête haute, s’assit sur le banc et fouetta le cheval, ramenant le moribond au grand trot, de peur qu’il ne lui passât entre les mains.

Quand il déboucha sur la place de l’Église, justement il aperçut Françoise, debout devant sa porte. La vue de ce garçon dans leur voiture, conduisant leur cheval, la stupéfiait.

— Quoi donc ? demanda-t-elle.

— C’est ton père qui ne va pas bien.

— Où ça ?

— Là, regarde !

Elle monta sur la roue, regarda. Un instant, elle resta