Page:Emile Zola - La Terre.djvu/100

Cette page a été validée par deux contributeurs.
100
LES ROUGON-MACQUART.

os, après l’avoir gardée pour femme, jusqu’au bout.

Ce jour-là, dès qu’il fut dehors, il se rappela son fils, le capitaine. À eux deux, ils auraient fait de si bonne besogne ! Mais il écarta le souvenir de cet imbécile qui préférait traîner un sabre. Il n’avait plus d’enfant, il finirait solitaire. Puis, l’idée lui vint de ses voisins, les Coquart surtout, des propriétaires qui cultivaient eux-mêmes leur ferme de Saint-Juste, le père, la mère, trois fils et deux filles, et qui ne réussissaient guère mieux. À la Chamade, Robiquet, le fermier, à bout de bail, ne fumait plus, laissait le bien se détruire. C’était ainsi, il y avait du mal partout, il fallait se tuer de travail, et ne pas se plaindre. Peu à peu, d’ailleurs, une douceur berçante montait des grandes pièces vertes qu’il longeait. De légères pluies, en avril, avaient donné une belle poussée aux fourrages. Les trèfles incarnats le ravirent, il oublia le reste. Maintenant, il coupait par les labours, pour jeter un coup d’œil sur la besogne de ses deux charretiers : la terre collait à ses pieds, il la sentait grasse, fertile, comme si elle eût voulu le retenir d’une étreinte ; et elle le reprenait tout entier, il retrouvait la virilité de ses trente ans, la force et la joie. Est-ce qu’il y avait d’autres femmes qu’elle ? est-ce que ça comptait, les Cognette, celle-ci ou celle-là, l’assiette où l’on mange tous, dont il faut bien se contenter, quand elle est suffisamment propre ? Une excuse si concluante à son besoin lâche de cette gueuse acheva de l’égayer. Il marcha trois heures, il plaisanta avec une fille, justement la servante des Coquart, qui revenait de Cloyes sur un âne, en montrant ses jambes.

Lorsque Hourdequin rentra à la Borderie, il aperçut Jacqueline dans la cour, qui disait adieu aux chats de la ferme. Il y en avait toujours une bande, douze, quinze, vingt, on ne savait pas au juste ; car les chattes faisaient leur portée dans des trous de paille inconnus, et reparaissaient avec des queues de cinq ou six petits. Ensuite, elle s’approcha des niches d’Empereur et de Massacre, les deux chiens du berger ; mais ils grognèrent, ils l’exécraient.