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LA CURÉE

patienter avec des histoires. Elle l’écoutait à peine ; elle signait tout ce qu’il voulait ; elle se plaignait seulement de ne pouvoir signer davantage.

Il avait déjà, cependant, pour deux cent mille francs de billets signés d’elle, qui lui coûtaient à peine cent dix mille francs. Après les avoir fait endosser par Larsonneau au nom duquel ils étaient souscrits, il faisait voyager ces billets d’une façon prudente, comptant s’en servir plus tard comme d’armes décisives. Jamais il n’aurait pu aller jusqu’au bout de ce terrible hiver, prêter à usure à sa femme et maintenir son train de maison, sans la vente de son terrain du boulevard Malesherbes, que les sieurs Mignon et Charrier lui payèrent argent comptant, mais en retenant un escompte formidable.

Cet hiver fut pour Renée une longue joie. Elle ne souffrait que du besoin d’argent. Maxime lui coûtait très cher ; il la traitait toujours en belle-maman, la laissait payer partout. Mais cette misère cachée était pour elle une volupté de plus. Elle s’ingéniait, se cassait la tête, pour que « son cher enfant » ne manquât de rien ; et, quand elle avait décidé son mari à lui trouver quelques milliers de francs, elle les mangeait avec son amant, en folies coûteuses, comme deux écoliers lâchés dans leur première escapade. Lorsqu’ils n’avaient pas le sou, ils restaient à l’hôtel, ils jouissaient de cette grande bâtisse, d’un luxe si neuf et si insolemment bête. Le père n’était jamais là. Les amoureux gardaient le coin du feu plus souvent qu’autrefois. C’est que Renée avait enfin empli d’une jouissance chaude le vide glacial de ces plafonds dorés. Cette maison suspecte du plaisir mondain était devenue une chapelle où elle pratiquait à l’écart une