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LES ROUGON-MACQUART

semblait à une loque. Elle avait aussi consenti à ne pas apporter son panier chez les Saccard. En revanche, ses poches débordaient de paperasses. Renée, dont elle ne pouvait faire une cliente raisonnable, résignée aux nécessités de la vie, l’intéressait. Elle la visitait régulièrement, avec des sourires discrets de médecin qui ne veut pas effrayer un malade en lui apprenant le nom de son mal. Elle s’apitoyait sur ses petites misères, comme sur des bobos qu’elle guérirait immédiatement, si la jeune femme voulait. Cette dernière, qui était dans une de ces heures où l’on a besoin d’être plaint, la faisait uniquement entrer pour lui dire qu’elle avait des douleurs de tête intolérables.

— Eh ! ma toute belle, murmura Mme Sidonie en se glissant dans l’ombre de la pièce, mais vous étouffez, ici !… Toujours vos douleurs névralgiques, n’est-ce pas ? C’est le chagrin. Vous prenez la vie trop à cœur.

— Oui, j’ai bien des soucis, répondit languissamment Renée.

La nuit tombait. Elle n’avait pas voulu que Céleste allumât une lampe. Le brasier seul jetait une grande lueur rouge, qui l’éclairait en plein, allongée, dans son peignoir blanc dont les dentelles devenaient roses. Au bord de l’ombre, on ne voyait qu’un bout de la robe noire de Mme Sidonie et ses deux mains croisées, couvertes de gants de coton gris. Sa voix tendre sortait des ténèbres.

— Encore des peines d’argent ! dit-elle, comme si elle avait dit : des peines de cœur, d’un ton plein de douceur et de pitié.

Renée abaissa les paupières, fit un geste d’aveu.

— Ah ! si mes frères m’écoutaient, nous serions tous