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LES ROUGON-MACQUART

il acheta au fond de la Nièvre de grandes propriétés, il se prépara par tous les moyens connus une candidature au Corps législatif. Jusque-là, il avait échoué, sans rien perdre de sa solennité. C’était le cerveau le plus incroyablement vide qu’on pût rencontrer. Il avait une carrure superbe, la face blanche et pensive d’un grand homme d’État ; et, comme il écoutait d’une façon merveilleuse, avec des regards profonds, un calme majestueux du visage, on pouvait croire à un prodigieux travail intérieur de compréhension et de déduction. Sûrement, il ne pensait à rien. Mais il arrivait à troubler les gens qui ne savaient plus s’ils avaient affaire à un homme supérieur ou à un imbécile. M. de Mareuil s’attacha à Saccard comme à sa planche de salut. Il savait qu’une candidature officielle allait être libre dans la Nièvre, il souhaitait ardemment que le ministre le désignât ; c’était son dernier coup de carte. Aussi se livra-t-il pieds et poings liés au frère du ministre. Saccard, qui flaira une bonne affaire, le poussa à l’idée d’un mariage entre sa fille Louise et Maxime. L’autre se répandit en effusion, crut avoir trouvé le premier cette idée de mariage, s’estima fort heureux d’entrer dans la famille d’un ministre, et de donner Louise à un jeune homme qui paraissait avoir les plus belles espérances.

Louise aurait, disait son père, un million de dot. Contrefaite, laide et adorable, elle était condamnée à mourir jeune ; une maladie de poitrine la minait sourdement, lui donnait une gaieté nerveuse, une grâce caressante. Les petites filles malades vieillissent vite, deviennent femmes avant l’âge. Elle avait une naïveté sensuelle, elle semblait être née à quinze ans, en pleine puberté. Quand son père, ce colosse sain et abêti, la