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Pillerault éclata de rire.

— Fichez-moi donc la paix, vous et votre Bismarck !… Moi qui vous parle, j’ai causé cinq minutes avec lui, cet été, quand il est venu. Il a l’air très bon garçon… Si vous n’êtes pas content, après l’écrasant succès de l’Exposition, que vous faut-il ? Eh ! mon cher, l’Europe entière est à nous.

Moser hocha désespérément la tête. Et, en phrases que coupaient à chaque seconde les bousculades de la foule, il continua à dire ses craintes. L’état du marché était trop prospère, d’une prospérité pléthorique qui ne valait rien, pas plus que la mauvaise graisse des gens trop gras. Grâce à l’Exposition, il avait poussé trop d’affaires, on s’était engoué, on en arrivait à la pure démence du jeu. Est-ce que ce n’était pas fou, par exemple, l’Universelle à trois mille trente ?

— Ah ! nous y voilà ! cria Pillerault.

Et, de tout près, en accentuant chaque syllabe :

— Mon cher, on finira ce soir à trois mille soixante… Vous serez tous culbutés, c’est moi qui vous le dis. 

Le baissier, facilement impressionnable pourtant, eut un petit sifflement de défi. Et il regarda en l’air, pour marquer sa fausse tranquillité d’âme, il resta un moment à examiner les quelques têtes de femme, qui se penchaient, là-haut, à la galerie du télégraphe, étonnées du spectacle de cette salle, où elles ne pouvaient entrer. Des écussons portaient des noms de villes, les chapiteaux et les corniches allongeaient une perspective blême, que des infiltrations avaient tachée de jaune.

— Tiens ! c’est vous ! reprit Moser en baissant la tête et en reconnaissant Salmon, qui souriait devant lui, de son éternel et profond sourire.

Puis, troublé, voyant dans ce sourire une approbation donnée aux renseignements de Pillerault :

— Enfin, si vous savez quelque chose, dites-le… Moi, mon raisonnement est simple. Je suis avec Gundermann, parce que Gundermann, n’est-ce pas ? c’est Gundermann… Ça finit toujours bien, avec lui.