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joint au capital, lui faisait cinq mille deux cents francs. Plus que cent francs de hausse, et il avait les six mille francs rêvés, la dot que le cartonnier exigeait pour laisser son fils épouser la petite. À cette idée, son cœur se fondait, il regardait avec des larmes cette enfant qu’il avait élevée, dont il était la vraie mère, dans le petit ménage si heureux qu’ils menaient ensemble, depuis le retour de nourrice.

Mais il continua, très troublé, lâchant des paroles quelconques, pour cacher son indiscrétion.

— Nathalie, qui est montée me dire un petit bonjour, vient de rencontrer votre dame, monsieur Jordan.

— Oui, expliqua la jeune fille, elle tournait dans la rue Feydeau. Oh ! elle courait ! 

Son père la laissait sortir à sa guise, certain d’elle, disait-il. Et il avait raison de compter sur sa bonne conduite, car elle était trop froide au fond, trop résolue à faire elle-même son bonheur, pour compromettre par une sottise le mariage si longuement préparé. Avec sa taille mince, ses grands yeux dans son joli visage pâle, elle s’aimait, d’une égoïste obstination, l’air souriant.

Jordan, surpris, ne comprenant pas, s’écria :

— Comment, dans la rue Feydeau ? 

Et il n’eut pas le temps de questionner davantage, car Marcelle entra, essoufflée. Tout de suite, il l’emmena dans le cabinet voisin, y trouva le rédacteur des tribunaux, dut se contenter de s’asseoir avec elle sur une banquette, au fond du couloir.

— Eh bien ?

— Eh bien, mon chéri, c’est fait, mais ça n’a pas été sans peine. 

Dans son contentement, il voyait qu’elle avait le cœur gros ; et elle lui dit tout, d’une voix basse et rapide, car elle avait beau se promettre de lui cacher certaines choses ; elle ne pouvait avoir de secrets.

Depuis quelque temps, les Maugendre changeaient à l’égard de leur fille. Elle les trouvait moins tendres, préoccupés, lentement envahis d’une passion nouvelle, le jeu.