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AU BONHEUR DES DAMES.

— Dites donc, mon brave, vous êtes trop gai… N’est-ce pas ? vous me croyez fini, et les dents vous poussent. Méfiez-vous, on ne me mange pas, moi !

Décontenancé par la rude attaque de ce diable d’homme qui devinait tout, Bourdoncle balbutia :

— Quoi donc ? vous plaisantez ? moi qui ai tant d’admiration pour vous !

— Ne mentez pas ! reprit Mouret plus violemment. Écoutez, nous étions stupides, avec cette superstition que le mariage devait nous couler. Est-ce qu’il n’est pas la santé nécessaire, la force et l’ordre mêmes de la vie !… Eh bien ! oui, mon cher, je l’épouse, et je vous flanque tous à la porte, si vous bougez. Parfaitement ! vous passerez comme un autre à la caisse, Bourdoncle !

D’un geste, il le congédiait. Bourdoncle se sentit condamné, balayé dans cette victoire de la femme. Il s’en alla. Denise entrait justement, et il s’inclina dans un salut profond, la tête perdue.

— Enfin ! c’est vous ! dit Mouret, doucement.

Denise était pâle d’émotion. Elle venait d’éprouver un dernier chagrin, Deloche lui avait appris son renvoi ; et, comme elle essayait de le retenir, en offrant de parler en sa faveur, il s’était obstiné dans sa malechance, il voulait disparaître : à quoi bon rester ? pourquoi aurait-il gêné les gens heureux ? Denise lui avait dit un adieu fraternel, gagnée par les larmes. Elle-même n’aspirait-elle pas à l’oubli ? Tout allait finir, elle ne demandait plus à ses forces épuisées que le courage de la séparation. Dans quelques minutes, si elle était assez vaillante pour s’écraser le cœur, elle pourrait s’en aller seule, pleurer au loin.

— Monsieur, vous avez désiré me voir, dit-elle de son air calme. Du reste, je serais venue vous remercier de toutes vos bontés.

En entrant, elle avait aperçu le million sur le bureau,