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LES ROUGON-MACQUART.

Mouret continuait à les regarder tous les trois. Il finit par reprendre :

— Le plus jeune a beaucoup grandi. Je le reconnais, je me souviens de l’avoir vu aux Tuileries, un soir, avec vous.

Et sa voix, qui se ralentissait, eut un léger tremblement. Elle, suffoquée, se baissa, sous le prétexte d’arranger le ceinturon de Pépé. Les deux frères, devenus roses, souriaient au patron de leur sœur.

— Ils vous ressemblent, dit encore celui-ci.

— Oh ! cria-t-elle, ils sont plus beaux que moi !

Un moment, il sembla comparer les visages. Mais il était à bout de forces. Comme elle les aimait ! Et il fit quelques pas ; puis, il revint lui dire à l’oreille :

— Montez à mon cabinet, après la vente. Je veux vous parler, avant votre départ.

Cette fois, Mouret s’éloigna et reprit son inspection. La bataille recommençait en lui, car ce rendez-vous donné l’irritait maintenant. À quelle poussée avait-il donc cédé, en la voyant avec ses frères ? C’était fou, puisqu’il ne trouvait plus la force d’avoir une volonté. Enfin, il en serait quitte pour lui dire un mot d’adieu. Bourdoncle, qui l’avait rejoint, semblait moins inquiet, tout en l’étudiant encore de minces coups d’œil.

Cependant, Denise était revenue près de madame Bourdelais.

— Et ce manteau va-t-il ?

— Oui, oui, très bien… Pour aujourd’hui, en voilà assez. C’est une ruine que ces petits êtres !

Alors, pouvant s’esquiver, Denise écouta les explications de Jean, puis l’accompagna dans les comptoirs, où il aurait certainement perdu la tête. C’était d’abord le paletot havane, que Thérèse, après réflexion, voulait changer contre un paletot de drap blanc, même taille, même coupe. Et la jeune fille, ayant pris le paquet, se rendit aux confections, suivie de ses deux frères.