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AU BONHEUR DES DAMES.

— Sans doute, mais que veux-tu que je fasse ? J’ai tâché de vendre, personne n’est venu… Mon Dieu ! un matin, je fermerai la boutique, et je m’en irai.

Elle savait qu’une faillite n’était plus à craindre. Les créanciers avaient préféré s’entendre, devant un pareil acharnement du sort. Tout payé, l’oncle allait simplement se trouver à la rue.

— Mais que ferez-vous ensuite ? murmura-t-elle, cherchant une transition pour arriver à l’offre qu’elle n’osait formuler.

— Je ne sais pas, répondit-il. On me ramassera bien.

Il avait changé son trajet, il marchait de la salle à manger aux vitrines de la devanture ; et, maintenant, il considérait chaque fois d’un regard morne ces vitrines lamentables, avec leur étalage oublié. Ses yeux ne se levaient même pas sur la façade triomphante du Bonheur des Dames, dont les lignes architecturales se perdaient à droite et à gauche, aux deux bouts de la rue. C’était un anéantissement, il ne trouvait plus la force de se fâcher.

— Écoutez, mon oncle, finit par dire Denise embarrassée, il y aurait peut-être une place pour vous…

Elle se reprit, elle bégaya :

— Oui, je suis chargée de vous offrir une place d’inspecteur.

— Où donc ? demanda Baudu.

— Mon Dieu ! là, en face… Chez nous… Six mille francs, un travail sans fatigue.

Brusquement, il s’était arrêté devant elle. Mais, au lieu de s’emporter comme elle le craignait, il devenait très pâle, il succombait sous une émotion douloureuse, d’une amère résignation.

— En face, en face, balbutia-t-il à plusieurs reprises. Tu veux que j’entre en face ?

Denise elle-même était gagnée par cette émotion. Elle revoyait la longue lutte des deux boutiques, elle assis-