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LES ROUGON-MACQUART.

cevoir les statues des villes manufacturières de la France. Du matin au soir, le long de la rue du Dix-Décembre, ouverte depuis peu, stationnaient une foule de badauds, le nez en l’air, ne voyant rien, mais préoccupés des merveilles qu’on se racontait de cette façade, dont l’inauguration allait révolutionner Paris. Et c’était sur ce chantier enfiévré de travail, au milieu des artistes achevant la réalisation de son rêve, commencée par les maçons, que Mouret venait de sentir plus amèrement que jamais la vanité de sa fortune. La pensée de Denise lui avait brusquement serré la poitrine, cette pensée qui, sans relâche, le traversait d’une flamme, comme l’élancement d’un mal inguérissable. Il s’était enfui, il n’avait pas trouvé un mot de satisfaction, craignant de montrer ses larmes, laissant derrière lui le dégoût du triomphe. Cette façade, qui se trouvait debout enfin, lui semblait petite, pareille à un de ces murs de sable que les gamins bâtissent, et l’on aurait pu la prolonger d’un faubourg de la cité à l’autre, l’élever jusqu’aux étoiles, elle n’aurait pas rempli le vide de son cœur, que seul le « oui » d’une enfant pouvait combler.

Lorsque Mouret rentra dans son cabinet, il étouffait de sanglots contenus. Que voulait-elle donc ? il n’osait plus lui offrir de l’argent, l’idée confuse d’un mariage se levait, au milieu de ses révoltes de jeune veuf. Et, dans l’énervement de son impuissance, ses larmes coulèrent. Il était malheureux.