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LES ROUGON-MACQUART.

sions exploitées pour faire prendre le chef de comptoir en défaut. Donc, un matin, comme Mouret traversait la soie, il s’arrêta, surpris de voir Favier en train de modifier les étiquettes de tout un solde de velours noir.

— Pourquoi baissez-vous les prix ? demanda-t-il. Qui vous en a donné l’ordre ?

Le second, qui menait grand bruit autour de ce travail, comme s’il eût voulu accrocher le directeur au passage, en prévoyant la scène, répondit d’un air naïvement surpris :

— Mais c’est monsieur Hutin, monsieur.

— Monsieur Hutin !… Où est donc monsieur Hutin ?

Et, lorsque celui-ci fut remonté de la réception, où un vendeur était descendu le chercher, une explication vive s’engagea. Comment ! il baissait maintenant les prix de lui-même ! Mais il parut très étonné à son tour, il avait simplement causé de cette baisse avec Favier, sans donner un ordre positif. Alors, ce dernier prit l’air chagrin d’un employé qui se voit dans l’obligation de contredire son supérieur. Pourtant, il voulait bien accepter la faute, s’il s’agissait de le tirer d’un mauvais pas. Du coup, les choses se gâtèrent.

— Entendez-vous ! monsieur Hutin, criait Mouret, je n’ai jamais toléré ces tentatives d’indépendance… Nous seuls décidons de la marque.

Il continua, d’une voix âpre, avec des intentions blessantes, qui surprirent les vendeurs, car d’ordinaire ces sortes de discussions avaient lieu à l’écart, et le cas pouvait du reste venir en effet d’un malentendu. On sentait chez lui comme une rancune inavouée à satisfaire. Enfin, il le prenait donc en défaut, ce Hutin qu’on donnait pour amant à Denise ! il pouvait donc se soulager un peu, en lui faisant sentir durement qu’il était le maître ! Et il exagérait les choses, il finissait par insinuer que la baisse des prix cachait des intentions peu honnêtes.