Page:Emile Zola - Au bonheur des dames.djvu/405

Cette page a été validée par deux contributeurs.
405
AU BONHEUR DES DAMES.

recommandations criées, tout un vacarme, toute une agitation de paquebot, sur le point de lever l’ancre. Et il restait un moment immobile, il regardait ce dégorgement des marchandises, dont il venait de voir la maison s’engorger, à l’extrémité opposée des sous-sols : l’énorme courant aboutissait là, sortait par là dans la rue, après avoir déposé de l’or au fond des caisses. Ses yeux se troublaient, ce départ colossal n’avait plus d’importance, il ne lui restait qu’une idée de voyage, l’idée de s’en aller dans des pays lointains, de tout abandonner, si elle s’obstinait à dire non.

Alors, il remontait, il continuait sa tournée, parlant et s’agitant davantage, sans pouvoir se distraire. Au second étage, il visitait le service des expéditions, cherchait des querelles, s’exaspérait sourdement contre la régularité parfaite de la machine qu’il avait réglée lui-même. Ce service était celui qui prenait de jour en jour l’importance la plus considérable : il nécessitait à présent deux cents employés, dont les uns ouvraient, lisaient, classaient les lettres venues de la province et de l’étranger, tandis que les autres réunissaient dans des cases les marchandises demandées par les signataires. Et le nombre des lettres croissait tellement, qu’on ne les comptait plus ; on les pesait, il en arrivait jusqu’à cent livres par jour. Lui, fiévreux, traversait les trois salles du service, questionnait Levasseur, le chef, sur le poids du courrier : quatre-vingts livres, quatre-vingt-dix parfois, le lundi cent. Le chiffre montait toujours, il aurait dû être ravi. Mais il demeurait frissonnant, dans le tapage que l’équipe voisine des emballeurs faisait en clouant des caisses. En vain, il battait la maison : l’idée fixe restait enfoncée entre ses deux yeux, et à mesure que sa puissance se déroulait, que les rouages des services et l’armée de son personnel défilaient devant lui, il sentait plus profondément l’injure de son impuissance. Les commandes