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AU BONHEUR DES DAMES.

Henriette, qui suffoquait, avait tiré son mouchoir et s’en écrasait les lèvres. C’était le renversement de ses calculs, elle-même prise au piège qu’elle avait tendu. Elle se désolait d’avoir poussé les choses trop loin, torturée de jalousie. Être quittée pour une pareille créature ! se voir dédaignée devant elle ! Son orgueil souffrait plus que son amour.

— Alors, c’est cette fille que vous aimez ? dit-elle péniblement, quand ils furent seuls.

Mouret ne répondit pas tout de suite, il marchait de la fenêtre à la porte, en cherchant à vaincre sa violente émotion. Enfin, il s’arrêta, et très poliment, d’une voix qu’il tâchait de rendre froide, il dit avec simplicité :

— Oui, madame.

Le bec de gaz sifflait toujours, dans l’air étouffé du cabinet. Maintenant, les reflets des glaces n’étaient plus traversés d’ombres dansantes, la pièce semblait nue, tombée à une tristesse lourde. Et Henriette s’abandonna brusquement sur une chaise, tordant son mouchoir entre ses doigts fébriles, répétant au milieu de ses sanglots :

— Mon Dieu ! que je suis malheureuse !

Il la regarda quelques secondes, immobile. Puis, tranquillement, il s’en alla. Elle, toute seule, pleurait dans le silence, devant les épingles semées sur la toilette et sur le parquet.

Lorsque Mouret rentra dans le petit salon, il n’y trouva plus que Vallagnosc, le baron étant retourné près des dames. Comme il se sentait tout secoué encore, il s’assit au fond de la pièce, sur un canapé ; et son ami, en le voyant défaillir, vint charitablement se planter devant lui, pour le cacher aux regards curieux. D’abord, ils se contemplèrent, sans échanger un mot. Puis, Vallagnosc, que le trouble de Mouret semblait égayer en dedans, finit par demander de sa voix goguenarde :

— Tu t’amuses ?