Page:Emile Zola - Au bonheur des dames.djvu/374

Cette page a été validée par deux contributeurs.
374
LES ROUGON-MACQUART.

main Mouret accueillait le nouveau venu. Celui-ci salua ces dames, regarda le jeune homme de l’air fin qui éclairait par moments sa grosse figure alsacienne.

— Toujours dans les chiffons ! murmura-t-il avec un sourire.

Puis, en familier de la maison, il se permit d’ajouter :

— Il y a une bien charmante jeune fille, dans l’antichambre… Qui est-ce ?

— Oh ! personne, répondit madame Desforges de sa voix mauvaise. Une demoiselle de magasin qui attend.

Mais la porte restait entr’ouverte, le domestique servait le thé. Il sortait, rentrait de nouveau, posait sur le guéridon le service de Chine, puis des assiettes de sandwichs et de biscuits. Dans le vaste salon, une lumière vive, adoucie par les plantes vertes, allumait les cuivres, baignait d’une joie tendre la soie des meubles ; et, chaque fois que la porte s’ouvrait, on apercevait un coin obscur de l’antichambre, éclairée seulement par des vitres dépolies. Là, dans le noir, une forme sombre apparaissait, immobile et patiente. Denise se tenait debout ; il y avait bien une banquette recouverte de cuir, mais une fierté l’en éloignait. Elle sentait l’injure. Depuis une demi-heure, elle était là, sans un geste, sans un mot ; ces dames et le baron l’avaient dévisagée au passage ; maintenant, les voix du salon lui arrivaient par bouffées légères, tout ce luxe aimable la souffletait de son indifférence ; et elle ne bougeait toujours pas. Brusquement, dans l’entrebâillement de la porte, elle reconnut Mouret. Lui, venait enfin de la deviner.

— Est-ce une de vos vendeuses ? demandait le baron Hartmann.

Mouret avait réussi à cacher son grand trouble. L’émotion fit seulement trembler sa voix.

— Sans doute, mais je ne sais pas laquelle.

— C’est la petite blonde des confections, se hâta de