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AU BONHEUR DES DAMES.

les rayons, ne s’étaient inquiétées d’être aimées. Il aurait dû en rire, et cette attitude de fierté tendre achevait de lui bouleverser le cœur.

— Monsieur, reprit-elle, rouvrez cette porte. Ce n’est pas convenable, d’être ainsi ensemble.

Mouret obéit, et les tempes bourdonnantes, ne sachant comment cacher son angoisse, il rappela madame Aurélie, s’emporta contre le stock des rotondes, dit qu’il faudrait baisser les prix, et les baisser tant qu’il en resterait une. C’était la règle de la maison, on balayait tout chaque année, on vendait à soixante pour cent de perte, plutôt que de garder un modèle ancien ou une étoffe défraîchie. Justement, Bourdoncle, à la recherche du directeur, l’attendait depuis un instant, arrêté devant la porte close par Jouve, qui lui avait glissé un mot à l’oreille, d’un air grave. Il s’impatientait, sans trouver cependant la hardiesse de déranger le tête-à-tête. Était-ce possible ? un jour pareil, avec cette chétive créature ! Et, lorsque la porte se rouvrit enfin, Bourdoncle parla des soies de fantaisie, dont le stock allait être énorme. Ce fut un soulagement pour Mouret, qui put crier à l’aise. À quoi songeait Bouthemont ? Il s’éloigna, en déclarant qu’il n’admettait pas qu’un acheteur manquât de flair, jusqu’à commettre la bêtise de s’approvisionner au delà des besoins de la vente.

— Qu’a-t-il ? murmura madame Aurélie, toute remuée par les reproches.

Et ces demoiselles se regardèrent avec surprise. À six heures, l’inventaire était terminé. Le soleil luisait encore, un blond soleil d’été, dont le reflet d’or tombait par les vitrages des halls. Dans l’air alourdi des rues, déjà des familles lasses revenaient de la banlieue, chargées de bouquets, et traînant des enfants. Un à un, les rayons avaient fait silence. On n’entendait plus, au fond des galeries, que les appels attardés de quelques commis