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AU BONHEUR DES DAMES.

aux mots d’esprit qui continuaient. Baugé sortit même avant lui ; et Baugé d’habitude quittait la salle le dernier, faisait un détour et rencontrait Pauline, au moment où celle-ci se rendait au réfectoire des dames : c’était une manœuvre arrêtée entre eux, la seule manière de se voir une minute, durant les heures de travail. Mais, ce jour-là, comme ils se baisaient à pleine bouche, dans un angle du corridor, Denise qui montait également déjeuner, les surprit. Elle marchait d’un pas difficile, à cause de son pied.

— Oh ! ma chère, balbutia Pauline très rouge, ne dites rien, n’est-ce pas ?

Baugé, avec ses gros membres, sa carrure de géant, tremblait ainsi qu’un petit garçon. Il murmura :

— C’est qu’ils nous flanqueraient très bien dehors… Notre mariage a beau être annoncé, ils ne comprennent pas qu’on s’embrasse, ces animaux-là !

Denise, toute remuée, affecta de ne pas les avoir vus. Et Baugé se sauvait, lorsque Deloche, qui prenait le plus long, parut à son tour. Il voulut s’excuser, il balbutia des phrases que Denise ne saisit pas d’abord. Puis, comme il reprochait à Pauline d’avoir parlé devant Liénard, et que celle-ci demeurait embarrassée, la jeune fille eut enfin l’explication des mots qu’on chuchotait derrière elle, depuis le matin. C’était l’histoire de la lettre qui circulait. Elle fut reprise du frisson dont cette lettre l’avait secouée, elle se voyait déshabillée par tous ces hommes.

— Moi, je ne savais pas, répétait Pauline. D’ailleurs, il n’y a rien là-dedans de vilain… On laisse causer, ils ragent tous, pardi !

— Ma chère, dit enfin Denise de son air raisonnable, je ne vous en veux point… Vous n’avez raconté que la vérité. J’ai reçu une lettre, c’est à moi d’y répondre.

Deloche s’en alla navré, ayant compris que la jeune fille