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LES ROUGON-MACQUART.

car le nombre des cuisses était vraiment prodigieux.

— Encore des volailles qui n’ont que des pattes ! fit remarquer Mignot.

Ceux qui avaient des morceaux de carcasse se fâchaient. Pourtant, la nourriture s’était beaucoup améliorée, depuis les aménagements nouveaux. Mouret ne traitait plus avec un entrepreneur pour une somme fixe ; il dirigeait aussi la cuisine, il en avait fait un service organisé comme un de ses rayons, ayant un chef, des sous-chefs, un inspecteur ; et, s’il déboursait davantage, il obtenait plus de travail d’un personnel mieux nourri, calcul d’une humanitairerie pratique qui avait longtemps consterné Bourdoncle.

— Allons, la mienne est tendre tout de même, reprit Mignot. Passez donc le pain !

Le gros pain faisait le tour, et lorsqu’il se fut coupé une tranche le dernier, il replanta le couteau dans la croûte. Des retardataires accouraient à la file, un appétit féroce, doublé par la besogne du matin, soufflait sur les longues tables, d’un bout à l’autre du réfectoire. C’étaient un cliquetis grandissant de fourchettes, des glouglous de bouteilles qu’on vidait, des chocs de verres reposés trop vivement, le bruit de meule de cinq cents mâchoires solides broyant avec énergie. Et les paroles, rares encore, s’étouffaient dans les bouches pleines.

Deloche, cependant, assis entre Baugé et Liénard, se trouvait presque en face de Favier, à quelques places de distance. Tous deux s’étaient lancé un regard de rancune. Des voisins chuchotaient, au courant de leur querelle de la veille. Puis, on avait ri de la malchance de Deloche, toujours affamé, et tombant toujours, par une sorte de destinée maudite, sur le plus mauvais morceau de la table. Cette fois, il venait d’apporter un cou de poulet et un débris de carcasse. Silencieux, il laissait plaisanter, il