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LES ROUGON-MACQUART.

vers ce comptoir, les vendeuses se mirent à rire. Il se troubla, s’enfonça dans ses feuilles ; tandis que Marguerite, pour étouffer le flot de gaieté qui lui chatouillait la gorge, criait plus fort :

— Quatorze jaquettes, drap anglais, deuxième grandeur, à quinze francs !

Du coup, madame Aurélie, en train d’appeler des rotondes, eut la voix couverte. Elle dit, l’air blessé, avec une lenteur majestueuse :

— Un peu plus bas, mademoiselle. Nous ne sommes pas à la halle… Et vous êtes toutes bien peu raisonnables, de vous amuser à des gamineries, quand notre temps est si précieux.

Justement, comme Clara ne veillait plus aux paquets, une catastrophe se produisit. Des manteaux s’éboulèrent, tous les tas de la table, entraînés, tombèrent les uns sur les autres. Le tapis en était jonché.

— Là, qu’est-ce que je disais ! cria la première hors d’elle. Faites donc un peu attention, mademoiselle Prunaire, c’est insupportable à la fin !

Mais un frémissement courut : Mouret et Bourdoncle, faisant leur tournée d’inspection, venaient de paraître. Les voix repartirent, les plumes grincèrent, tandis que Clara se hâtait de ramasser les vêtements. Le patron n’interrompit pas le travail. Il resta là quelques minutes, muet, souriant ; et ses lèvres seules avaient un frisson de fièvre, dans son visage gai et victorieux des jours d’inventaire. Lorsqu’il aperçut Denise, il faillit laisser échapper un geste d’étonnement. Elle était donc descendue ? Ses yeux rencontrèrent ceux de madame Aurélie. Puis, après une courte hésitation, il s’éloigna, il entra aux trousseaux.

Cependant, Denise, avertie par la rumeur légère, avait levé la tête. Et, après avoir reconnu Mouret, elle s’était de nouveau penchée sur ses feuilles, simplement. Depuis