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LES ROUGON-MACQUART.

blanches. Du reste, après quelques soirées passées entre elles, dans le premier feu de la nouveauté, les vendeuses ne s’y rencontraient plus, sans en arriver tout de suite aux mots désagréables. C’était une éducation à faire, la petite cité phalanstérienne manquait de concorde. Et, en attendant, il n’y avait guère là, le soir, que la seconde des corsets, miss Powell, qui tapait sèchement du Chopin sur le piano, et dont le talent jalousé achevait de mettre en fuite les autres.

— Vous voyez, mon pied va mieux, dit Denise. Je descendais.

— Ah bien ! cria la lingère, en voilà du zèle !… C’est moi qui resterais à me dorloter, si j’avais un prétexte !

Toutes deux s’étaient assises sur un canapé. L’attitude de Pauline avait changé, depuis que son amie était seconde aux confections. Il entrait, dans sa cordialité de bonne fille, une nuance de respect, une surprise de sentir la petite vendeuse chétive d’autrefois en marche pour la fortune. Cependant, Denise l’aimait beaucoup et se confiait à elle seule, au milieu du continuel galop des deux cents femmes que la maison occupait maintenant.

— Qu’avez-vous ? demanda vivement Pauline, quand elle remarqua le trouble de la jeune fille.

— Mais rien, assura celle-ci, avec un sourire embarrassé.

— Si, si, vous avez quelque chose… Vous vous méfiez donc de moi, que vous ne me dites plus vos chagrins ?

Alors, Denise, dans l’émotion qui gonflait sa poitrine et qui ne pouvait se calmer, s’abandonna. Elle tendit la lettre à son amie, en balbutiant :

— Tenez ! il vient de m’écrire.

Entre elles, jamais encore elles n’avaient parlé ouvertement de Mouret. Mais ce silence même était comme un aveu de leurs secrètes préoccupations. Pauline n’ignorait