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AU BONHEUR DES DAMES.

air assuré de femme reine, que les portières ne lui plaisaient plus, sans daigner ajouter une explication. Elle refusa d’en voir d’autres, et il dut s’incliner, car les vendeurs avaient ordre de reprendre les marchandises, même s’ils s’apercevaient qu’on s’en fût servi.

Comme les trois dames s’éloignaient ensemble, et que madame Marty revenait avec remords sur la table à ouvrage dont elle n’avait aucun besoin, madame Guibal lui dit de sa voix tranquille :

— Eh bien ! vous la rendrez… Vous avez vu ? ce n’est pas plus difficile que ça… Laissez-la toujours porter chez vous. On la met dans son salon, on la regarde ; puis, quand elle vous ennuie, on la rend.

— C’est une idée ! cria madame Marty. Si mon mari se fâche trop fort, je leur rends tout.

Et ce fut pour elle l’excuse suprême, elle ne compta plus, elle acheta encore, avec le sourd besoin de tout garder, car elle n’était pas des femmes qui rendent.

Enfin, on arriva aux robes et costumes. Mais, comme Denise allait remettre à une des vendeuses le foulard acheté par madame Desforges, celle-ci parut se raviser et déclara que, décidément, elle prendrait un des manteaux de voyage, le gris clair ; et Denise dut attendre complaisamment, pour la ramener aux confections. La jeune fille sentait bien la volonté de la traiter en servante, dans ces caprices de cliente impérieuse ; seulement, elle s’était juré de rester à son devoir, elle gardait son attitude calme, malgré les bonds de son cœur et les révoltes de sa fierté. Madame Desforges n’acheta rien aux robes et costumes.

— Oh ! maman, disait Valentine, ce petit costume-là, s’il est à ma taille !

Tout bas, madame Guibal expliquait à madame Marty sa tactique. Quand une robe lui plaisait dans un magasin, elle se la faisait envoyer, en prenait le patron, puis