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AU BONHEUR DES DAMES.

l’exaspération de Bourdoncle ; tandis que madame Aurélie, vexée, déclarait que madame Frédéric aurait au moins dû la prévenir, car on n’avait pas idée d’une dissimulation pareille. Bien que celle-ci n’eût jamais fait une confidence à personne, on la soupçonnait cependant d’avoir quitté les nouveautés, pour épouser le propriétaire d’un établissement de bains, du côté des Halles.

— C’est un manteau de voyage que madame désire ? demanda Denise à madame Desforges, après lui avoir offert une chaise.

— Oui, répondit sèchement cette dernière, décidée à être impolie.

La nouvelle installation du rayon était d’une sévérité riche, de hautes armoires de chêne sculpté, des glaces tenant la largeur des panneaux, une moquette rouge qui étouffait le piétinement continu des clientes. Pendant que Denise était allée chercher des manteaux de voyage, madame Desforges, qui regardait autour d’elle, s’aperçut dans une glace ; et elle restait à se contempler. Elle vieillissait donc, qu’on la trompait pour la première fille venue ? La glace reflétait le rayon entier, avec sa turbulence ; mais elle ne voyait que sa face pâle, elle n’entendait pas, derrière elle, Clara qui racontait à Marguerite une des cachotteries de madame Frédéric, la façon dont celle-ci faisait le tour, matin et soir, en enfilant le passage Choiseul, afin de donner l’idée qu’elle logeait peut-être sur la rive gauche.

— Voici nos derniers modèles, dit Denise. Nous les avons en plusieurs couleurs.

Elle étalait quatre ou cinq manteaux. Madame Desforges les considérait d’un air dédaigneux ; et, à chacun, elle devenait plus dure. Pourquoi ces fronces, qui étriquaient le vêtement ? et celui-ci, carré des épaules, ne l’aurait-on pas dit taillé à coups de hache ? On avait beau aller en voyage, on ne s’habillait pas comme une guérite.