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LES ROUGON-MACQUART.

elles, on ne peut pourtant pas leur laisser emporter les marchandises sous leurs manteaux… Et des personnes très distinguées. Nous avons eu, la semaine dernière, la sœur d’un pharmacien et la femme d’un conseiller à la cour. On tâche d’arranger cela.

Il s’interrompit pour montrer l’inspecteur Jouve, qui précisément filait une femme enceinte, en bas, au comptoir des rubans. Cette femme, dont le ventre énorme souffrait beaucoup des poussées du public, était accompagnée d’une amie, chargée de la défendre sans doute contre les chocs trop rudes ; et, chaque fois qu’elle s’arrêtait devant un rayon, Jouve ne la quittait plus des yeux, tandis que l’amie, près d’elle, fouillait à son aise au fond des casiers.

— Oh ! il la pincera, reprit Mouret, il connaît toutes leurs inventions.

Mais sa voix trembla, il eut un rire contraint. Denise et Henriette, qu’il n’avait cessé de guetter, passaient enfin derrière lui, après avoir eu beaucoup de mal à se dégager de la foule. Et il se tourna, il salua sa cliente du salut discret d’un ami, qui ne veut pas compromettre une femme, en l’arrêtant au milieu du monde. Seulement, celle-ci, mise en éveil, s’était très bien aperçue du regard dont il avait d’abord enveloppé Denise. Cette fille, décidément, devait être la rivale qu’elle avait eu la curiosité de venir voir.

Aux confections, les vendeuses perdaient la tête. Deux demoiselles étaient malades, et madame Frédéric, la seconde, avait tranquillement donné son congé, la veille, passant à la caisse pour faire régler son compte, lâchant le Bonheur d’une minute à l’autre, comme le Bonheur lui-même lâchait ses employés. Depuis le matin, dans le coup de fièvre de la vente, on ne causait que de cette aventure. Clara, maintenue au rayon par le caprice de Mouret, trouvait ça « très chic » ; Marguerite racontait