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LES ROUGON-MACQUART.

dormi sur le Moniteur. M. de Boves examinait les tableaux, avec l’intention évidente de perdre dans la foule son futur gendre. Et, seule, au milieu de ce calme, madame Bourdelais égayait ses enfants, très haut, comme en pays conquis.

— Tu le vois, elles sont chez elles, répéta Mouret, qui montrait d’un geste large l’entassement de femmes dont craquaient les rayons.

Justement, madame Desforges, après avoir failli laisser son manteau dans la foule, entrait enfin et traversait le premier hall. Puis, arrivée à la grande galerie, elle leva les yeux. C’était comme une nef de gare, entourée par les rampes des deux étages, coupée d’escaliers suspendus, traversée de ponts volants. Les escaliers de fer, à double révolution, développaient des courbes hardies, multipliaient les paliers ; les ponts de fer, jetés sur le vide, filaient droit, très haut ; et tout ce fer mettait là, sous la lumière blanche des vitrages, une architecture légère, une dentelle compliquée où passait le jour, la réalisation moderne d’un palais du rêve, d’une Babel entassant des étages, élargissant des salles, ouvrant des échappées sur d’autres étages et d’autres salles, à l’infini. Du reste, le fer régnait partout, le jeune architecte avait eu l’honnêteté et le courage de ne pas le déguiser sous une couche de badigeon, imitant la pierre ou le bois. En bas, pour ne point nuire aux marchandises, la décoration était sobre, de grandes parties unies, de teinte neutre ; puis, à mesure que la charpente métallique montait, les chapiteaux des colonnes devenaient plus riches, les rivets formaient fleurons, les consoles et les corbeaux se chargeaient de sculptures ; dans le haut enfin, les peintures éclataient, le vert et le rouge, au milieu d’une prodigalité d’or, des flots d’or, des moissons d’or, jusqu’aux vitrages dont les verres étaient émaillés et niellés d’or. Sous les galeries couvertes, les briques apparentes des voû-