Page:Emile Zola - Au bonheur des dames.djvu/277

Cette page a été validée par deux contributeurs.
277
AU BONHEUR DES DAMES.

fut forcée de s’avancer, pour dire de sa voix blanche :

— Que désire madame ?

Madame Bourdelais voulait voir de la flanelle. Colomban descendit une pièce d’un casier, Geneviève montra l’étoffe ; et, tous deux, les mains froides, se trouvaient rapprochés derrière le comptoir. Cependant, Baudu sortait le dernier de la petite salle, à la suite de sa femme, qui était allée s’asseoir sur la banquette de la caisse. Mais il ne se mêla pas d’abord de la vente, il avait souri à Denise, et se tenait debout, en regardant madame Bourdelais.

— Elle n’est pas assez belle, disait celle-ci. Montrez-moi ce que vous avez de plus fort.

Colomban descendit une autre pièce. Il y eut un silence. Madame Bourdelais examinait l’étoffe.

— Et combien ?

— Six francs, madame, répondit Geneviève.

La cliente fit un brusque mouvement.

— Six francs ! mais ils ont la même, en face, à cinq francs.

Une contraction légère passa sur le visage de Baudu. Il ne put s’empêcher d’intervenir, très poliment. Madame se trompait sans doute, cet article-là aurait dû être vendu six francs cinquante, il était impossible qu’on le donnât à cinq francs. Certainement, il s’agissait d’un autre article.

— Non, non, répétait-elle, avec l’entêtement d’une bourgeoise qui se piquait de s’y connaître. L’étoffe est la même. Peut-être encore est-elle plus épaisse.

Et la discussion finit par s’aigrir. Baudu, la bile au visage, faisait effort pour rester souriant. Son amertume contre le Bonheur crevait dans sa gorge.

— Vraiment, dit enfin madame Bourdelais, il faut me mieux traiter, autrement, j’irai en face, comme les autres.