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LES ROUGON-MACQUART.

Non, il ne disait rien, il ne trouvait rien à dire. Alors, le drapier reprit avec lenteur :

— J’étais sûr que ça te chagrinerait… Il te faut du courage. Secoue-toi un peu, ne reste pas écrasé ainsi… Surtout, comprends bien ma position. Puis-je vous attacher au cou un pareil pavé ? Au lieu de vous laisser une bonne affaire, je vous laisserais une faillite peut-être. Non, les coquins seuls se permettent de ces tours-là… Sans doute, je ne désire que votre bonheur, mais jamais on ne me fera aller contre ma conscience.

Et il parla longtemps de la sorte, se débattant au milieu de phrases contradictoires, en homme qui aurait voulu être deviné à demi-mot et avoir la main forcée. Puisqu’il avait promis sa fille et la boutique, la stricte probité le forçait à donner les deux en bon état, sans tares ni dettes. Seulement, il était las, le fardeau lui semblait trop lourd, des supplications perçaient dans sa voix balbutiante. Les mots s’embrouillaient davantage sur ses lèvres, il attendait, chez Colomban, un élan, un cri du cœur, qui ne venait point.

— Je sais bien, murmurait-il, que les vieux manquent de flamme… Avec des jeunes, les choses se rallument. Ils ont le feu au corps, c’est naturel… Mais, non, non, je ne puis pas, parole d’honneur ! Si je vous cédais, vous me le reprocheriez plus tard.

Il se tut, frémissant ; et, comme le jeune homme demeurait toujours la tête basse, il lui demanda pour la troisième fois, au bout d’un silence pénible :

— Tu ne dis rien ?

Enfin, sans le regarder, Colomban répondit :

— Il n’y a rien à dire… Vous êtes le maître, vous avez plus de sagesse que nous tous. Puisque vous l’exigez, nous attendrons, nous tâcherons d’être raisonnables.

C’était fini, Baudu espérait encore qu’il allait se jeter dans ses bras, en criant : « Père, reposez-vous, nous