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AU BONHEUR DES DAMES.

— Quand je te dis qu’elle est la femme d’un papetier !… Oh ! quelque chose de magnifique !

Trois mois se passèrent. Le printemps revenait, Denise refusa de retourner à Joinville avec Pauline et Baugé. Elle les rencontrait parfois rue Saint-Roch, en sortant de chez Robineau. Pauline, dans une de ces rencontres, lui confia qu’elle allait peut-être épouser son amant ; c’était elle qui hésitait encore, on n’aimait guère les vendeuses mariées au Bonheur des Dames. Cette idée de mariage surprit Denise, elle n’osa conseiller son amie. Un jour que Colomban venait de l’arrêter près de la fontaine, pour lui parler de Clara, celle-ci justement traversa la place ; et la jeune fille dut s’échapper, car il la suppliait de demander à son ancienne camarade si elle voulait bien se marier avec lui. Qu’avaient-ils donc tous ? Pourquoi se tourmenter de la sorte ? Elle s’estimait très heureuse de n’aimer personne.

— Vous savez la nouvelle ? lui dit un soir le marchand de parapluies, comme elle rentrait.

— Non, monsieur Bourras.

— Eh bien ! les gredins ont acheté l’Hôtel Duvillard… Je suis cerné !

Il agitait ses grands bras, dans une crise de fureur qui hérissait sa crinière blanche.

— Un micmac à n’y rien comprendre ! reprit-il. Il paraît que l’hôtel appartenait au Crédit Immobilier, dont le président, le baron Hartmann, vient de le céder à notre fameux Mouret… Maintenant, ils me tiennent à droite, à gauche, derrière, tenez ! voyez-vous, comme je tiens dans mon poing cette pomme de canne !

C’était vrai, on avait dû signer la cession la veille. La petite maison de Bourras, serrée entre le Bonheur des Dames et l’Hôtel Duvillard, accrochée là comme un nid d’hirondelle dans la fente d’un mur, semblait devoir être écrasée du coup, le jour où le magasin envahirait l’hôtel,