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LES ROUGON-MACQUART.

coulaient sur sa peau de fille. Debout devant un casier de minces cravates noires, il semblait réfléchir profondément.

— Que fais-tu là ? reprit-elle.

— Dame ! répondit-il, je t’attendais… Tu me défends de venir. Alors, je suis bien entré, mais je n’ai rien dit à personne. Oh ! tu peux être tranquille. Ne fais pas semblant de me connaître, si tu veux.

Des vendeurs les regardaient déjà, l’air étonné. Jean baissa la voix.

— Tu sais, elle a voulu m’accompagner. Oui, elle est sur la place, devant la fontaine… Donne vite les quinze francs, ou nous sommes fichus, aussi vrai que le soleil nous éclaire !

Alors, Denise fut saisie d’un grand trouble. On ricanait, on écoutait cette aventure. Et, comme un escalier du sous-sol s’ouvrait derrière le rayon des cravates, elle y poussa son frère, elle le fit descendre vivement. En bas, il continua son histoire, embarrassé, cherchant les faits, craignant de n’être point cru.

— L’argent n’est pas pour elle. Elle est trop distinguée… Et son mari, ah ! bien, il se fiche joliment de quinze francs ! Pour un million, il n’autoriserait pas sa femme. Un fabricant de colle, te l’ai-je dit ? des gens extrêmement bien… Non, c’est pour une crapule, un ami à elle qui nous a vus ; et, tu comprends, si je ne lui donne pas les quinze francs, ce soir…

— Tais-toi, murmura Denise. Tout à l’heure… Marche donc !

Ils étaient descendus dans le service du départ. La morte saison endormait la vaste cave, sous le jour blafard des soupiraux. Il y faisait froid, un silence tombait de la voûte. Mais pourtant un garçon prenait, dans un des compartiments, les quelques paquets destinés au quartier de la Madeleine ; et, sur la grande table de triage,