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AU BONHEUR DES DAMES.

bouts. Des garçons en tablier blanc servaient ces dames, ce qui évitait à celles-ci le désagrément de prendre elles-mêmes leurs portions au guichet. La direction avait trouvé cela plus décent.

— Vous avez donc fait le tour ? demanda Pauline, assise déjà et se coupant du pain.

— Oui, répondit Denise en rougissant, j’accompagnais une cliente.

Elle mentait. Clara poussa le coude d’une vendeuse, sa voisine. Qu’avait donc la mal peignée, ce jour-là ? Elle était toute singulière. Coup sur coup, elle recevait des lettres de son amant ; puis, elle courait le magasin comme une perdue, elle prétextait des commissions à l’atelier, où elle n’allait seulement pas. Pour sûr, il se passait quelque histoire. Alors, Clara, tout en mangeant sa raie sans dégoût, avec une insouciance de fille nourrie autrefois de lard rance, causa d’un drame affreux, dont le récit emplissait les journaux.

— Vous avez lu, cet homme qui a guillotiné sa maîtresse d’un coup de rasoir ?

— Dame ! fit remarquer une petite lingère, de visage doux et délicat, il l’avait trouvée avec un autre. C’est bien fait.

Mais Pauline se récria. Comment ! parce qu’on n’aimera plus un monsieur, il lui sera permis de vous trancher la gorge ! Ah ! non, par exemple ! Et, s’interrompant, se tournant vers le garçon de service :

— Pierre, je ne puis pas avaler le bœuf, vous savez… Dites donc qu’on me fasse un petit supplément, une omelette, hein ! et moelleuse, s’il est possible !

Pour attendre, comme elle avait toujours des gourmandises dans les poches, elle en sortit des pastilles de chocolat, qu’elle se mit à croquer avec son pain.

— Certainement, ce n’est pas drôle, un homme pareil, reprit Clara. Et il y en a des jaloux ! L’autre jour en-