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LES ROUGON-MACQUART.

villes, gros souliers, bottes élégantes, fines bottines de femme, un va-et-vient continu de pieds vivants, sans corps et sans tête. Les jours de pluie, c’était très sale.

— Comment ! déjà ! cria Hutin.

Une cloche sonnait au bout du couloir, il fallait laisser la place à la troisième table. Les garçons de service arrivaient avec des seaux d’eau tiède et de grosses éponges, pour laver les toiles cirées. Lentement, les salles se vidaient, les vendeurs remontaient à leurs rayons, en traînant le long des marches. Et, dans la cuisine, le chef avait repris sa place devant le guichet, entre ses bassines de raie, de bœuf et de sauce, armé de ses fourchettes et de ses cuillers, prêt à remplir de nouveau les assiettes, de son mouvement rythmique d’horloge bien réglée.

Comme Hutin et Favier s’attardaient, ils virent descendre Denise.

— Monsieur Robineau est de retour, mademoiselle, dit le premier, avec une politesse moqueuse.

— Il déjeune, ajouta l’autre. Mais si ça presse trop, vous pouvez entrer.

Denise descendait toujours sans répondre, sans tourner la tête. Pourtant, lorsqu’elle passa devant la salle à manger des chefs de comptoir et des seconds, elle ne put s’empêcher d’y jeter un coup d’œil. Robineau était là, en effet. Elle tâcherait de lui parler, l’après-midi ; et elle continua de suivre le corridor, pour se rendre à sa table, qui se trouvait à l’autre bout.

Les femmes mangeaient à part, dans deux salles réservées. Denise entra dans la première. C’était également une ancienne cave, transformée en réfectoire ; mais on l’avait aménagée avec plus de confort. Sur la table ovale, placée au milieu, les quinze couverts s’espaçaient davantage, et le vin était dans des carafes ; un plat de raie et un plat de bœuf à la sauce piquante tenaient les deux