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AU BONHEUR DES DAMES.

deux autres l’écoutaient, refusant encore de sacrifier Robineau, un vendeur de premier ordre, qui datait de madame Hédouin. Mais, quand il en vint à l’histoire des nœuds de cravate, Bourdoncle s’emporta. Est-ce que ce garçon était fou, de s’entremettre pour donner des travaux supplémentaires aux vendeuses ? La maison payait assez cher le temps de ces demoiselles ; si elles travaillaient à leur compte la nuit, elles travaillaient moins dans le jour au magasin, c’était clair ; elles les volaient donc, elles risquaient leur santé qui ne leur appartenait pas. La nuit était faite pour dormir, toutes devaient dormir, ou bien on les flanquerait dehors !

— Ça chauffe, fit remarquer Hutin.

Chaque fois que les trois hommes, dans leur promenade lente, passaient devant la salle à manger, les commis les guettaient, commentaient leurs moindres gestes. Ils en oubliaient le riz au gratin, où un caissier venait de trouver un bouton de culotte.

— J’ai entendu le mot « cravate », dit Favier. Et vous avez vu le nez de Bourdoncle qui a blanchi tout d’un coup.

Cependant, Mouret partageait l’indignation de l’intéressé. Une vendeuse réduite à travailler la nuit, lui semblait une attaque contre l’organisation même du Bonheur. Quelle était donc la sotte qui ne savait pas se suffire, avec ses bénéfices sur la vente ? Mais, quand Bouthemont eut nommé Denise, il se radoucit, il trouva des excuses. Ah ! oui, cette petite fille : elle n’était pas encore très adroite et elle avait des charges, assurait-on. Bourdoncle l’interrompit pour déclarer qu’il fallait la renvoyer sur l’heure. On ne tirerait jamais rien d’un laideron pareil, il l’avait toujours dit ; et il semblait satisfaire une rancune. Alors, Mouret, pris d’embarras, affecta de rire. Mon Dieu ! quel homme sévère ! ne pouvait-on pardonner une fois ? On ferait venir la coupable, on la gron-