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LES ROUGON-MACQUART.

— Oh ! mon Dieu ! reprit-il, vous pleurez, mademoiselle, vous pleurez… Est-ce que je vous ai fait de la peine ?

— Non, non, murmura-t-elle.

Elle tâchait de retenir ses larmes, mais elle ne le pouvait pas. À table déjà, elle avait cru que son cœur éclatait. Et, maintenant, elle s’abandonnait dans cette ombre, des sanglots venaient de l’étouffer, en pensant que, si Hutin se trouvait à la place de Deloche et lui disait ainsi des tendresses, elle serait sans force. Cet aveu qu’elle se faisait enfin, l’emplissait de confusion. Une honte lui brûlait la face, comme si elle fût tombée sous ces arbres, aux bras de ce garçon qui s’étalait avec des filles.

— Je ne voulais pas vous offenser, répétait Deloche que les larmes gagnaient.

— Non, écoutez, dit-elle d’une voix encore tremblante, je n’ai aucune colère contre vous. Seulement, je vous en prie, ne me parlez plus comme vous venez de le faire… Ce que vous demandez est impossible. Oh ! vous êtes un bon garçon, je veux bien être votre amie, mais pas davantage… Entendez-vous, votre amie !

Il frémissait. Après quelques pas faits en silence, il balbutia :

— Enfin, vous ne m’aimez pas ?

Et, comme elle lui évitait le chagrin d’un non brutal, il reprit d’une voix douce et navrée :

— D’ailleurs, je m’y attendais… Jamais je n’ai eu de chance, je sais que je ne puis être heureux. Chez moi, on me battait. À Paris, j’ai toujours été un souffre-douleur. Voyez-vous, lorsqu’on ne sait pas prendre les maîtresses des autres, et qu’on est assez gauche pour ne pas gagner de l’argent autant qu’eux, eh bien ! on devrait crever tout de suite dans un coin… Oh ! soyez tranquille, je ne vous tourmenterai plus. Quant à vous aimer, vous ne pouvez m’en empêcher, n’est-ce pas ? Je vous aimerai pour rien,